Cet article traite de l’intérêt de la technique de Co construction  d’un parcours d’insertion entre un accompagnant et un accompagné. Ce travail peut être utile à la fois aux Conseillers en Évolution Professionnelle dans le cadre du niveau 2 et à tout professionnel, en individuel et en collectif, souhaitant utiliser la co élaboration comme un outil d’engagement de la personne à son processus de changement.

Introduction

Dans la loi de 2014 portant sur le Conseiller en Évolution Professionnelle, le concept de Co Construction  (ou co élaboration) constitue une pratique centrale du Conseiller notamment sur le niveau 2. Le CNEFOP le détermine comme suit  : « Le niveau 2 est centré sur l’ingénierie de parcours du bénéficiaire,(…). La construction d’un parcours personnalisé est réalisée en constante interaction avec le bénéficiaire en prenant notamment en compte sa situation personnelle et ses attentes. Elle constitue l’occasion pour le conseiller d’échanger avec la personne sur l’opportunité et la pertinence de recourir, le cas échéant, à des prestations complémentaires. Celles-ci peuvent, en cohérence avec la démarche de projet du bénéficiaire, permettre de formaliser un bilan de ses compétences ou de tester ses souhaits dans le cadre d’une mise en situation en milieu professionnel. » (reperes_cep_novembre_2015)

« Élaboration » : C’est à dire ?

Si l’on en croit le dictionnaire Larousse et que l’on s’en tient au cadre de l’intervention qui nous préoccupe ici, l’élaboration se définit comme une « Action d’élaborer un travail intellectuel ; une construction de l’esprit ; une création. ».

En ce qui nous concerne, il s’agit donc de créer un objet (le parcours) de manière théorique (intellectuelle) en fonction d’un certain nombre d’éléments (d’information) à la disposition des acteurs. Ce travail de construction « intellectuelle » précède tout démarrage réel éventuel puisqu’il permet d’envisager l’ensemble des possibilités pour atteindre un résultat définit. Ou envisagé autrement, l’élaboration vient avant l’action car elle permet de décider si les conditions sont requises pour démarrer (Go ou no Go); mais également, la manière la plus adéquate compte tenu de la situation toujours particulière la personne.

Le concept d’élaboration indique donc clairement une démarche prospective et préparatoire à la mise en oeuvre qui permet la formalisation d’un objet propre et clairement formalisé sur le papier (Le parcours Prévisionnel).

En méthodologie Projet, la phase de montage consiste, à partir d’une commande ou d’une idée et en fonction des informations spécifiques liées au projet, à envisager l’ensemble des possibilités pour atteindre le résultat dans les meilleures conditions. Il s’agit d’élaborer le projet sur le papier, en suivant une méthode spécifique, pour se doter de l’ensemble des éléments afin de prendre la décision suivante :  On y va (Go), On n’y va pas (No go). La phase de montage sert à trouver la façon d’y aller pour avoir le plus de chance d’atteindre son résultat.

En accompagnement, c’est la même chose. Monter (élaborer) son projet de parcours, c’est étudier l’ensemble des possibilités qui s’offre à nous, dans le cadre de contraintes et des capacités qui sont les nôtres, pour pouvoir décider en toute autonomie (en capacité) de la meilleure manière d’aborder le projet de parcours.

En d’autres termes, L’élaboration est donc la construction progressive et systémique d’un objet immatériel (le parcours prévisionnel) issu d’une réflexion individuelle et/ou collective dans le but de choisir le chemin à mettre en oeuvre qui semblera la meilleure à l’accompagné pour atteindre le résultat visé.

Un préfixe « Co » : pourquoi faire ?

Par l’utilisation de ce préfixe, on peut entendre la notion de (Co)llectif, ensemble, en commun, comme dans « l’ intelligence Collective » qui renvoie aux techniques d’animation permettant à plusieurs personnes issues de milieux différents d’aborder un problème complexe en y apportant chacun leurs visions particulières. Ces vision vont progressivement s’enrichir pour aboutir à une solution plus en relation avec la dite complexité de la situation à affronter.

On peut également se référer, comme dans le dictionnaire, aux notions d’association, de participation, de simultanéité. Dans le cadre de travail, nous serions dans une technique moins ambitieuse ou une ou plusieurs personnes participent à un projet commun en y apportant chacun sa part contributive et son expertise; être Co auteur d’un ouvrage par exemple.

En fait, les 2 approches sont intéressantes et doivent être envisagées au regard des résultats attendus de l’utilisation du « Co » en accompagnement.

Si mettre de la collaboration dans une activité permet de la renforcer et de la rendre possible, la Co élaboration d’un projet renvoi donc à la fois à des valeurs humanistes de partage (on travaille ensemble) à l’origine du  concept d’accompagnement (on partage le pain), et à des notions d’efficience (ici on serait plus efficace à plusieurs que seul).

Mais ce qui va pour des acteurs ayant une relation équitable, ne fonctionne pas à l’identique en accompagnement. En effet, l’accompagnant n’est pas l’égal de l’accompagné. Il lui apporte un service, un savoir et se met à sa disposition pour l’aider, dans un temps délimité, à atteindre son résultat, quel qu’il puisse être.

Dès lors la co élaboration devient un outil de travail, une technique, que le praticien de l’accompagnement utilise dans un contexte particulier et pour obtenir un résultat précis. Dans ce cadre, la co élaboration de parcours est un acte intentionnel recherchant un objectif pédagogique précis et des effets d’impacts.

Encore une question de posture

« La construction d’un parcours personnalisé est réalisée en constante interaction avec le bénéficiaire en prenant notamment en compte sa situation personnelle et ses attentes » xw7cstp.

Il y a 2 manières d’interpréter cette « constante interaction ».

La première consiste à demander son accord à la personne accompagnée sur une série de décisions prises par le praticien lui même concernant le parcours (quelles étapes ? quelle durée ? etc..). Cette méthode résulte plutôt de l’ordre du conseil, de l’orientation que de l’accompagnement. Le praticien, expert en son domaine, prend la main et oriente les résultats en fonction de son expertise. En position de dominé (le savoir donne le pouvoir), l’accompagné aura du mal à aller à l’encontre de conseils avisés de son conseiller. Il aura tendance à les accepter, posant bien quelques questions, mais en faisant confiance au praticien qui semble avoir toutes les cartes en main pour lui assurer la meilleure proposition de parcours possible. Pressé par le temps, en recherche de résultat, l’accompagné validera parfois des décisions sans avoir véritablement eu le temps de s’approprier les impacts de ces décisions prises par un autre. Sur le papier ça a l’air bien, mais en réalité ….

La deuxième manière d’interpréter cette « constante interaction » consiste à considérer la Co construction de parcours comme une séance dont l’objectif n’est pas seulement d’obtenir un parcours réalisable (il le faut juste et bien construit évidemment) mais que ce travail est avant tout un travail préparatoire qui doit permettre d’obtenir d’autres types de résultats et notamment de poser les conditions de la réussite de l’accompagnement.

Quels sont les résultats visés par la Co élaboration ?

Le résultat qu’un praticien peut attendre d’un temps de collaboration partagé autour de la construction d’un objet comme le parcours, est quadruple :

  • Il s’agit d’obtenir un objet de travail qui satisfasse tout le monde (le parcours comme objet de contractualisation)
  • Il s’agit de se donner le temps de s’ajuster l’un à l’autre (l’alliance)
  • Il s’agit d’obtenir l’adhésion des différents collaborants à réaliser le projet sur lequel ils ont travaillé (les théories de l’engagement)
  • Il donner aux acteurs la possibilité de changer,, de modifier leur comportement, leur vision du monde (la dissonance cognitive)

Contractualiser

La séance pédagogique au cours de laquelle l’accompagnant propose à un ou plusieurs accompagnés de Co-élaborer leur parcours consiste à se mettre à plusieurs (2 si on est en entretien individuel – plus si on est en situation d’animation collective) autour d’une table et à regarder l’objet parcours sous toutes ses formes et dans toutes ses logiques pour progressivement en élaborer intellectuellement un nouvel objet qui n’aurait pas pris forme sans ce temps de travail et cette confrontation des regards et des modes de fonctionnement. On obtient un projet de parcours que chacune des parties accepte comme cadre de travail commun. C’est le premier effet de la Co élaboration :  il permet de poser le cadre d’un travail à accomplir,  d’un parcours à réaliser. Il permet une contractualisation réelle sur la base d’un objet concret et partagé (le Référent en évaluation)

S’allier

En réalisant cette activité de Co élaboration, le collectif se construit progressivement une vision commune des activités à réaliser, s’accorde sur l’objectif à atteindre, cherche et réajuste les moyens d’y arriver, ajuste également sa communication. De manière itérative et systémique, les regards, les approches et les objectifs différents vont se confronter, entrer en conflit pour enfin s’accorder (ou pas) sur l’objet définitif. Le collectif apprend à travailler ensemble, à communiquer, à comprendre comment fonctionne l’autre autour du faire et du dire. C’est le deuxième effet de la Co élaboration :  il permet de s’ajuster, de comprendre comment on va pouvoir collaborer. Il permet de s’allier.

S’engager

Le travail d’élaboration collective du parcours est également une période durant laquelle les différents collaborateurs au projet vont successivement agir et décider dans des enchainements multiples et accélérés. Ils vont chacun individuellement au cours de ce travail, soutenus en cela par le groupe et concentré sur l’objet, poser des actes (donner leur avis, prendre un crayon, écrire une information, faire un schéma, cocher une case, etc..) et prendre des décisions successives (choisir l’information, choisir une possibilité, choisir un objectif ou un objet, etc…). L’enchainement de ces actes et de ces décisions engage chacune des personnes présentes dans le projet qu’ils sont en train de construire ensemble. A la fin de la séance de Co élaboration, cet objet travaillé est devenu le leur. Ils y ont mis un peu de eux-mêmes. Ils s’y sont projetés. Le résultat de ce travail est qu’ils souhaiteront le mettre en oeuvre tout en en ayant une meilleure vision des coûts et des gains. C’est le troisième effet de la Co élaboration : elle produit l’adhésion et constitue en cela une base de travail indispensable à tout démarrage de parcours.

Changer

Quand nous croyons fermement en quelque chose, quand nous n’avons pas envie de modifier une situation ou un comportement auxquels nous sommes habitués, nous pouvons développer des raisonnements fallacieux dans lesquels « la mauvaise foi » peut être alimentée par des stratégies de repli et de peur du changement. La dissonance cognitive permet à tout individu de sortir de ce cercle selon le principe simple : « faire prendre conscience aux gens qu’ils savent ce qu’ils devraient faire et, simultanément, qu’il ne le font pas toujours ». L’écart entre ce qui est attendu et le comportement transgression par la personne elle même, éveille un sentiment d’inconfort psychologique qui permettre à la personne de se positionner différemment, de changer son point de vue, son discours, son comportement.

Ici encore, à l’occasion de la séance de co élaboration de parcours, se créent des situations d’inconfort pouvant prendre des formes différentes selon les personnes et toujours dans un cadre de bienveillance.  Des stratégies de résistance au changement se traduisant par un refus de se projeter ; une pensée déviante par rapport à une norme (par exemple, se situer en dehors du cadre : toucher le RSA sans contrepartie) ; une façon d’envisager le parcours non cohérente par rapport à une logique ou des méthodes; sont autant de situations de blocage qu’une pratique basée sur le raisonnement cognitif, l’argumentation, ne peut dépasser.

Au cours d’une séance de co élaboration du parcours,  la personne se trouvera directement en situation de  dissonance cognitive, vivra mieux ce sentiment d’inconfort et ira chercher d’autres idées, d’autres solutions dans les exemples des autres, dans la réflexion des autres, dans les hypothèses de travail des autres. La co élaboration permet la confrontation cognitive sans violence. C’est le quatrième effet de la Co élaboration : Elle permet de se confronter sans être jugé. Elle détourne l’attention sur l’objet du parcours, protégeant le sujet des agressions extérieures. Elle facilite ainsi le changement en douceur et sans violence.

 

Ces 4 effets majeurs doivent nous amener à nous interroger sur les techniques à mettre en oeuvre pour réaliser une Co élaboration du projet de parcours qui permettent de bien démarrer ou de poursuivre dans de bonnes conditions un accompagnement. Dans cette démarche, le praticien pose le cadre de l’intervention et propose des situations pédagogiques adéquates, la personne accompagnée est active et autonome.

Nous verrons dans un prochain article, comment pratiquer la Co élaboration des projets de parcours.